Étendu sur 147 000 km2 et peuplé de 30 millions d’habitants, le Népal est un petit État himalayen situé entre les deux géants asiatiques que sont la Chine et l’Inde. Demeuré longtemps inconnu pour les Européens, il ne s’est ouvert que récemment mais a attiré depuis de nombreux voyageurs. La présence sur son territoire des plus hautes montagnes du monde en a fait une destination prisée des alpinistes avides, dans les années cinquante du siècle dernier, de vaincre les sommets supérieurs à 8 000 m d’altitude. L’attrait d’un patrimoine monumental exceptionnel et la vitalité des traditions religieuses ont encouragé ensuite les touristes occidentaux attirés par cet ailleurs mystérieux, avant que la fin des années soixante et la décennie suivante ne voient affluer vers Kathmandu une jeunesse occidentale en crise, en quête de paradis artificiels. La séduction exotique opère toujours mais le pays entre progressivement dans la modernité, tout en préservant de nombreux aspects de sa vie traditionnelle. Pour ceux qui le découvrent, la formule d’André Malraux prononcée en 1973 selon laquelle « le Népal est la première puissance poétique de la Terre » conserve ainsi toute son actualité, même si ce petit royaume devra relever dans l’avenir de multiples défis.
Une terre himalayenne
La formation de l’actuel territoire népalais s’inscrit dans le contexte géologique du plissement himalayen. Celui-ci s’est produit en deux temps : d’abord au Paléozoïque, il y a environ 300 millions d’années, puis au début de l’ère tertiaire, à l’Éocène, quand la masse du futur subcontinent indien est venue percuter celle du plateau sino-tibétain pour soulever la chaîne himalayenne. Les matériaux géologiques varient selon l’altitude : gneiss et calcaire dans les zones les plus hautes, sédiments – notamment des schistes – dans les régions d’altitude moyenne, dépôts alluviaux dans la plaine méridionale du Terai.
Sur la carte, le Népal se présente comme un rectangle incliné du nord-ouest au sud-est, situé par 80°15’ à 88°19’ de longitude est et entre 26°20’ et 30°10’ de latitude nord. Il présente une superficie correspondant à un peu plus du quart de celle de la France. L’un de ses traits dominants est l’extrême diversité de son relief, caractérisé par une singularité topographique impressionnante puisque 8 788 mètres séparent le point le plus bas de son territoire (60 m au-dessus du niveau de la mer dans le Terai) du sommet de l’Everest dressé à 8 848 mètres. Seuls 35 % du territoire se trouvent en dessous de 1 000 mètres, 25 % entre 1 000 et 2 000 mètres, 30 % entre 200 mètres et 5 000 mètres et 10 % au-dessus de 5 000 mètres. D’ouest en est, le Népal s’étend sur 880 kilomètres dans sa plus grande longueur alors que sa largeur varie entre 145 et 190 kilomètres. Le pays ne compte plus que deux voisins ; la Chine au nord et l’Inde sur ses trois autres frontières, car le Sikkim a été incorporé dans l’Union indienne en 1975. La superficie du pays ne correspond qu’à 4 % de celle de l’Inde et à 1,4 % de celle de la Chine. Si l’on ajoute à ces chiffres ceux des populations respectives des trois États concernés (30 millions de Népalais voisins de 1,42 milliard de Chinois et de 1,41 milliard d’Indiens), on mesure d’emblée à quel point le Népal fait figure de nain entre ces deux géants du XXIe siècle.
On peut aisément distinguer sur ce petit territoire plusieurs régions naturelles : le Terai, les mont Siwalik et le massif du Mahabharat, le massif himalayen proprement dit, avec ses sommets géants et, enfin, la région transhimalayenne.
Frange méridionale du pays, le Terai continue, dans son aspect, le territoire indien voisin. C’est une plaine humide de climat tropical couverte de forêts et de savanes. Elle constitue la seule partie plate d’un pays où la pente est ailleurs partout présente. Cette plaine n’a que 25 à 50 kilomètres de large et ne constitue que 17,5 % de la superficie totale du pays. Elle a été longtemps répulsive dans la mesure où les conditions climatiques y entretenaient le paludisme.
On trouve, au nord du Terai, deux rangées de collines parallèles. La plus méridionale constitue les monts Siwalik, couverts de forêts et dont la pente s’élève doucement jusqu’à 600 mètres avant de s’accentuer jusqu’à près de 2 000 mètres. Plus au nord, le massif du Mahabharata s’élève jusqu’à 3 000 mètres. Il abrite les deux bassins les plus fertiles du pays, ceux de Kathmandou et de Pokhara, situés respectivement à 1 350 m et 900 mètres d’altitude.
Plus au nord, certaines parties du Grand Himalaya se trouvent entièrement en territoire népalais. C’est notamment le cas pour les massifs de l’Annapurna et du Daulaghiri alors qu’ailleurs, la chaîne marque la frontière entre le Népal et la Chine. La topographie a permis de distinguer dix sommets népalais dépassant 8 000 mètres. Le plus élevé est bien sûr l’Everest (8 848 m) qui porte le nom de Sir George Everest, le chef de la mission cartographique britannique qui a reconnu en 1852 le sommet le plus haut du monde. En népalais, il est désigné sous le nom de Sagarmatha (« le sommet dont la tête touche le ciel ») et, en tibétain, sous celui de Chomolungma (« la déesse mère du monde »). Il a été vaincu en mai 1953 par le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le sherpa Tensing. Après lui, viennent le Kanchenjunga (8 584 m) sur la frontière du Népal et du Sikkim, le Lhotse (8 501 m) au sud de l’Everest, le Makalu (8 475 m) au sud-est de l’Everest, le Yalung-Kang (8 420 m), dans le massif du Kanchenjunga, le Lhotse-Char (8 380 m), à l’est du Lhotsé), le Dhaulagiri (8 167 m), le Manaslu (8 156 m), le plus haut sommet du Népal central, le Cho-Oyu (8 151 m à l’est de l’Everest), enfin l’Annapurna (8 097 m, premier « 8 000 » vaincu en juin 1950 par les Français Maurice Herzog et Louis Lachenal). Ces zones de très haute montagne sont couvertes de glaciers, mais ceux-ci ne descendent pas aujourd’hui en dessous de 5 000 m. C’est notamment le cas pour le célèbre glacier du Khumbu où a été installé le camp de base à partir duquel sont entreprises les ascensions de l’Everest.
Au centre-ouest du pays, les chaînes de l’Annapurna, du Dhaulagiri et du Kanjiroba se trouvent toutes en territoire népalais et isolent, au nord, une zone « transhimalayenne » étendue sur 25 000 kilomètres carrés, soit 17,7 % de la superficie totale du pays. Abritée de la mousson, cette région apparaît extrêmement aride. Placée à une altitude variant de 3 000 à 4 500 mètres, elle présente un paysage très analogue à celui des hauts plateaux du Tibet, avec des ressources très limitées et une population très faible.
Malgré son altitude, la barrière himalayenne n’est pas complètement hermétique entre le Népal et le Tibet chinois, car plusieurs cols, situés pour certains à plus de 5 000 mètres permettent de la franchir.
Le relief du pays détermine pour l’essentiel les climats que l’on y rencontre et qui voient coexister des zones tropicales et montagnardes très différentes. L’élément dominant est la mousson d’été qui souffle vers le nord depuis les latitudes tropicales. L’air chaud et humide qu’elle porte se condense au contact du Mahabharata puis de l’Himalaya, entraînant des pluies aussi régulières qu’abondantes, de la fin du mois de mai jusqu’au milieu du mois d’octobre, principalement à l’est et au centre du pays. On distingue clairement trois zones étendues d’ouest en est : au sud, dans le Terai et les monts Siwalik, la chaleur et l’humidité prévalent durant toute l’année (entre 35 et 40° en été, entre 12 et 25° en hiver) ; au centre, le climat est plus tempéré et passe de 2° les nuits d’hiver à 36° les jours d’été. L’écart thermique quotidien peut être considérable : dans la vallée de Kathmandou, il peut geler au lever du jour en hiver alors que le thermomètre peut atteindre entre 16 et 22° à midi. Le froid règne en maître dans les régions qui combinent haute latitude et haute altitude. Les régions basses de la zone tropicale du Terai sont occupées par une végétation abondante qui fait place, au-dessus de 1 000 mètres, à des espèces végétales plus tempérées telles que les chênes ou les châtaigniers ou, dans les parties les plus hautes, les sapins. De 1 700 mètres à 3 000 mètres, les espèces tempérées sont toujours présentes, ainsi que le rhododendron géant qui peut atteindre 15 mètres de haut. Les conifères – sapins ou mélèzes – dominent dans les zones proprement alpines où gentianes et edelweiss sont des fleurs courantes. Les zoologues ont identifié un millier d’espèces d’oiseaux et une centaine d’espèces de mammifères parmi lesquels les plus communes sont les buffles noirs des zones chaudes, des zébus et le yak, animal typique de la zone himalayenne.
Le cloisonnement du relief et la voie de passage qu’ont constitués les vallées du Népal central expliquent la grande diversité ethnique du pays. Le groupe le plus important, parfois identifié comme « népalo-indien » et qui constitue un tiers de la population totale du pays, s’est installé en majorité dans le Terai. La continuité est évidente avec les régions indiennes voisines. IL s’agit en effet de populations hindouistes parlant les mêmes dialectes et pratiquant les mêmes coutumes que leurs voisins indiens. Les Népalais établis dans cette région sont, dans une large mesure, originaires du Rajasthan ou du Bengale. Outre ces immigrés, on trouve dans le Terai des tribus indigènes dont on ignore l’origine, leur langue n’étant apparentée ni au tibétain ni aux dialectes indiens. Quelques ethnies pauvres ignorant les castes et pratiquant l’animisme vivent encore de la chasse plutôt que de l’agriculture. Des groupes mongoloïdes sont établis dans l’Est des basses terres.
On trouve, dans les collines de l’Ouest, des populations d’origine indienne venues là pour échapper à l’islamisation.
Elles ont constitué en ces temps lointains de petites principautés qui furent à l’origine des premiers États népalais d’où surgirent, au fil du temps, les familles qui ont dominé le pays. L’Est du Népal a été le domaine des Kiranati ou Kirat, sans doute venus à l’origine de Chine du Sud et dont la langue est tibéto-birmane. Les grandes épopées indiennes évoquent leurs qualités militaires. Les Newar se considèrent – sans doute abusivement – comme les premiers occupants de la vallée de Kathmandou. Ils sont en fait le produit d’un mélange entre des éléments venus d’Inde du Nord et du Nord-Ouest et d’autres, issus de la côte orientale du Dekkan. Auxquels se sont joints ultérieurement des brahmanes fuyant la domination moghole. Ce groupe est partagé entre hindouistes et bouddhistes. Les castes dominantes – brahmanes et chetri (de kshatriyas qui désigne les guerriers) y pèsent d’un poids important.
Les Gurung, installés dans les régions montagneuses du Népal central, sont originaires du Tibet et ne sont arrivés sur place qu’aux XIIIe et XIVe siècles. Ils cultivent le riz, le blé et les légumes et élèvent des moutons dont ils vendent la laine. Bouddhistes et animistes, ils fournissent une bonne partie du recrutement des mercenaires Gurkhas. Les Tamang, originaires du Tibet, sont de petits agriculteurs qui louent souvent leurs services de cuisiniers ou de porteurs auprès des randonneurs ou des alpinistes engagés dans des expéditions himalayennes. Originaires eux aussi du Tibet et installés dans le Centre et l’Ouest du pays, les Magars sont éleveurs et agriculteurs, mais aussi artisans habiles. Ils sont de tradition hindouiste.
Plusieurs groupes montagnards complètent le tableau du paysage ethnique népalais. Les Sherpas sont originaires de l’Est et parlent une langue tibétaine. Agriculteurs et commerçants, ils ont acquis une notoriété comme porteurs ou guides pour les alpinistes venus affronter les sommets himalayens. Vivant à plus de 4 000 mètres d’altitude, leur familiarité avec l’air raréfié leur donne une résistance précieuse en ce domaine. Convertis au bouddhisme au VIIIe siècle, ils ont conservé de nombreux éléments de leurs croyances animistes antérieures. Les habitants de Mustang, de Dolpo et de Manang appartiennent également aux groupes ethniques montagnards alors que les Takhali se sont installés dans la vallée de la Kali Gandaki, en dessous de 3 000 mètres, d’où ils assuraient, avant l’occupation chinoise du Tibet, une partie des relations commerciales entre le Népal et ce pays voisin.
Même si elle demeure encore limitée, la dynamique d’urbanisation en cours – à Kathmandou, Patan ou Bhadgaon – tend à mêler ces diverses populations, et le paysage ethnique du pays est naturellement appelé à évoluer dans les décennies qui viennent.
Les diverses sources d'une histoire difficile à appréhender
Petit royaume lointain enclavé dans la chaîne himalayenne, le Népal est longtemps demeuré pour les historiens une terra incognita. Il était difficile de distinguer entre la tradition légendaire et les récits épiques d’une part et le déroulement des événements encadré dans une stricte chronologie d’autre part. Les premières sources permettant d’éclairer le passé du pays sont les documents d’origine chinoise. Dès la dynastie Han, contemporaine des débuts de l’ère chrétienne, l’empire du Milieu a mis au point la technique de fabrication du papier et, six siècles plus tard, sous la dynastie Tang, les Chinois inventèrent l’imprimerie. Des innovations qui permirent la réalisation de livres et la constitution de bibliothèques appelées à conserver des ouvrages rendant compte de l’histoire de la Chine et des pays asiatiques présents à sa périphérie. La circulation des hommes, liée à la diffusion du bouddhisme, constitua un autre facteur favorable. Ce fut à Lumbini, sur le territoire de l’actuel Népal, qu’intervint la naissance de Siddartha Gautama Sakiamuni, appelé à devenir l’Éveillé, le Bouddha qui allait transformer profondément l’histoire religieuse de l’Asie. Quand la Chine adopte le bouddhisme, il apparaît nécessaire aux autorités impériales et aux lettrés d’entreprendre des voyages en Inde, terre d’origine de la nouvelle religion, et les pèlerins qui s’y rendent vont le plus souvent traverser le Népal pour gagner les hauts lieux de la foi nouvelle. C’est le cas, au début du Ve siècle, de Fa hien qui rend compte de son voyage en Inde dans sa Relation des royaumes bouddhiques. Il en va de même, un siècle plus tard, de Hiouen-Tsang qui séjourne deux années durant à Nalanda, au nord de l’Inde, où il peut s’entretenir avec des moines et des pèlerins venus du Népal, ce qui va lui permettre de décrire assez précisément le royaume himalayen. Très réservé sur les Népalais qu’il juge farouches et dénués de bonne foi, il ne tarit pas d’éloges à propos du roi Ançu Varman qui « se distingue par la solidité de son savoir et la sagacité de son esprit, estimant la science et respectant la vertu ». Revenu en Chine à l’issue de son séjour, Hiouen-Tsang publia en 650 son Récit sur les contrées à l’ouest du grand empire Tang. Alors que s’opéraient ces diverses reconnaissances, le pouvoir impérial chinois s’intéressait – au-delà des seules questions relatives au bouddhisme – à la situation politique des petites principautés établies sur le flanc sud de l’Himalaya en y envoyant des ambassades passant par le Tibet, notamment celle de Li Piao reçue au Népal par le roi Narendra, septième souverain de la dynastie Thakuri. Les Chinois découvrent ainsi le petit royaume.
La chute de la dynastie Tang au profit de la dynastie Song et le choc de l’expansion musulmane jusqu’en Asie centrale viennent ensuite compromettre les relations établies entre la Chine et le Népal qui ne reprendront qu’à partir de la fin du XIVe siècle, sous la dynastie Ming et se poursuivront à partir du XVIe sous la dynastie mandchoue. Cette situation explique que c’est essentiellement par l’intermédiaire des sources chinoises que l’on connaît l’histoire du Népal jusqu’au XVIIIe siècle, période au cours de laquelle ce sont les études et les témoignages européens qui nous fournissent l’essentiel des renseignements relatifs au pays.
Dès 1624, un jésuite portugais venu d’Agra, Antonio de Andrade, visite le Népal au cours de son voyage vers le Tibet où il espère accomplir son apostolat. Les connaissances relatives au pays viennent aussi indirectement des jésuites établis alors à la cour impériale de Pékin. En 1661, deux autres jésuites venus de Pékin, les pères Grueber et d’Orville entreprennent de rentrer de Chine en Europe par le Tibet et l’Inde. L’occasion pour eux de traverser le Népal, après avoir séjourné deux mois à Lhassa, la capitale tibétaine. D’Orville meurt d’épuisement à Agra, mais son compagnon peut parvenir à Rome avant de repartir vers la Chine. Il meurt à Constantinople, mais laisse un témoignage précieux sur Le royaume de Necbal et la ville de Cadmendu. Les descriptions rapportées par ces voyageurs permettent, dès 1665, la réalisation à Amsterdam d’une première carte du Népal. À la même époque, deux voyageurs français, Tavernier et Bernier, partis à la cour du Grand Moghol, fournissent d’autres informations à propos des échanges entre l’Inde moghole et le Népal.
En 1703, la Congrégation pour la propagation de la foi confia aux capucins affiliés à l’ordre franciscain l’évangélisation du Tibet. Sur les douze missionnaires concernés, deux furent affectés au Népal. La présence chrétienne s’y maintint après que les missionnaires eurent été chassés du Tibet par la volonté de l’empereur chinois. Cette situation ne dura pas et les missionnaires installés au Népal furent, à leur tour, écartés après 1768, à un moment où ils étaient désormais vus comme de potentiels espions de la puissance anglaise en cours d’installation en Inde. Les franciscains avaient cependant vu l’un des leurs, le père Giuseppe, mort sur place en 1760 après quatre années de séjour, réaliser une Description du royaume du Népal publiée à Rome en 1790. Après les hommes d’Église et les marchands, la Compagnie anglaise des Indes orientales prend le relais, intéressée par l’ouverture espérée de la Chine. Le séjour à Kathmandou, en 1793, de la mission du capitaine Kirckpatrick permit de rassembler de nombreuses informations, réunies dans un ouvrage publié en 1811. Il fournit un tableau complet de l’histoire, des institutions et de la géographie du pays, le tout complété par une carte précise et détaillée. Après qu’une nouvelle mission s’est installée à Kathmandou en 1803, un traité anglo-népalais est conclu en 1816, qu’installe une présence permanente dans la capitale népalaise ; c’est l’occasion, pour l’un des membres de la Résidence, Brian Hodgson, d’accomplir un travail de recherche considérable sur le pays, relayé par les publications savantes britanniques. Les Anglais vont dès lors rechercher et rassembler des documents précieux, les déchiffrer et traduire les textes népalais. Un travail de longue haleine qui aboutira à la publication, en 1882, du Catalogue des ouvrages sanskrits et bouddhiques du Népal. Il faut ajouter à ces recherches l’enquête topographique et l’entreprise cartographique d’envergure réalisée sous la direction de George Everest. Outre les Anglais, le chercheur russe M. Minayeff, professeur de sanscrit à l’université de Saint-Pétersbourg, va découvrir un grand nombre de manuscrits qui fourniront une matière précieuse pour établir l’histoire du pays. Les Français ne sont pas absents et, en 1885, la mission de Gustave Le Bon en Inde le conduit au Népal d’où il ramène de nombreuses photographies. Après lui, Sylvain Lévi, professeur de sanscrit à la Sorbonne, à l’École pratique des hautes études et au Collège de France, séjourne deux mois au Népal en 1898. Il en ramène la première Histoire du Népal qui, publiée en français en 1905, propose une synthèse claire de toutes les informations fournies par les sources chinoises, religieuses et occidentales.
Outre les sources écrites évoquées plus haut, il faut compter également avec les informations fournies par l’épigraphie qui étudie les inscriptions gravées par les souverains sur les murs des temples et des palais. Les manuscrits réalisés par les moines permettent de préciser la chronologie des souverains successifs alors que la numismatique étudie les monnaies frappées à l’effigie des différents rois.
Historien du Népal, Roland Barraux signale l’importance que revêt la Vamsavali, une chronique qui, composée au XIXe siècle, fournit la matière du « roman national » népalais. Il existe deux versions de ce texte. La première, rédigée probablement en 1816, est l’œuvre d’un moine bouddhiste de Patan ; elle a été traduite en anglais par l’interprète de la Résidence britannique à Kathmandou. La seconde, à peine plus tardive (1834) vient également de Patan, mais a été écrite par un brahmane. Si les deux auteurs utilisent la langue imposée par le nouveau pouvoir gurkha de la vallée, ils se soucient moins de la vérité historique que de démontrer l’origine religieuse des dynasties successives plus ou moins légendaires pour garantir la protection des fondements de la société et de leurs représentations, les temples, les couvents, les monuments commémoratifs de tel ou tel dieu bienveillant ou vengeur. En fait, les Vamsavali s’apparentent pour l’une aux Mhatmya, terme désignant les ouvrages servant de guides pratiques aux fidèles du bouddhisme, l’autre aux Puranas, traités vérifiés d’histoire sainte, de cosmogonie, de théologie et de mythologie que l’hindouisme vénère à l’égal des Vedas, les révélations de la foi brahmanique. Le lien entre les deux textes tient au fait que l’orthodoxie brahmanique de l’Inde a admis le Bouddha parmi les avatars de Vishnu ; les divinités d’ailleurs ne se présentent pas comme concurrentes et les exemples donnés de leurs politesses respectives montrent aux hommes la supériorité de la compassion nécessaire entre les êtres. Il en résulte des récits légendaires remontant à un passé très lointain, sans souci de chronologie. La trame est constituée par les documents chinois ; tous les auteurs s’accordent à le reconnaître. Pour Sylvain Lévi, « dès que la Chine entre en scène, le contrôle des faits historiques est facile », et un intellectuel népalais, le docteur Regmi, peut affirmer que « Hiuen Tsang reste encore la seule source sûre pour les phases essentielles de notre histoire ancienne. »
De la légende à l'Histoire
L’historien et diplomate Roland Barraux a parfaitement résumé la situation qui prévaut pour ce qui concerne les récits et les représentations relatifs aux origines du Népal : « L’histoire des peuples, dans sa nébuleuse originelle, mêle les faits et la légende, les rois et les dieux, les prophètes et les héros. Ce qui enracine jusqu’à nos jours cette synergie dans la culture et le quotidien du Népal, c’est que deux sources de courants religieux se mêlent pour sortir le pays du néant, hindouisme et bouddhisme. »
Pour les fidèles du premier, Shiva, l’un des trois dieux – avec Brahma et Vishnu – de la triade hindoue, décida un jour de se transporter au Népal avec son épouse Parvati. Il entreprit de s’y métamorphoser en gazelle sur les berges de la Bagmati, la rivière de la vallée de Kathmandou. Il y décida de porter désormais le nom de Pacupati. Les deux autres dieux de la triade l’exhortèrent à les rejoindre sur le mont Kailash ou à Bénarès, mais ils se heurtèrent à son refus. Ils le saisirent par une corne, mais celle-ci se brisa et un fragment se ficha dans le sol. Cet événement se déroula, selon la tradition brahmanique, 900 000 ans avant notre ère. Longtemps plus tard – plus de dix-sept siècles avant l’ère chrétienne selon la chronique Vamsavali – un berger exhuma le morceau de la corne brisée, mais se trouva de ce fait réduit en cendres. Le roi Bukthamana fit construire un temple à l’endroit du prodige. Depuis ce moment, les souverains successifs du Népal affirmèrent être les favoris du divin Pacupati appelé à protéger le royaume. La mémoire hindoue se manifeste aussi à travers le personnage de Krishna, un avatar de Vishnu honoré dans la vallée de Kathmandou sous le nom de Narayana.
Pour les bouddhistes, Manjusri, le Boddhisatva de la Connaissance, serait à l’origine du Népal. À l’aube des temps, le pays était un lac enfermé au cœur des montagnes environnantes et ce fut Manjusri qui, au moyen d’une épée merveilleuse, ouvrit une brèche dans le massif qui maintenait prisonnières les eaux du lac. Celles-ci purent alors se déverser et faire apparaître la vallée de Kathmandou. Le fondateur serait venu de Chine et c’est en référence à cette tradition que le roi népalais payait au Fils du Ciel, l’empereur mandchou, un tribut annuel. Désormais libérée des eaux, la vallée put recevoir ses premiers occupants, que la tradition faisait venir du nord, et c’est dans ses conditions que le peuple Newar constitua le premier groupe fondateur de l’histoire du Népal. La rivalité qui pouvait opposer les tenants de la tradition hindouiste aux fidèles du bouddhisme put être dépassée par le fait que les adeptes de Brahma et de Vishnu admirent que le Bouddha était en fait un avatar de ce dernier dieu. Une interprétation d’autant plus crédible que le Bouddha historique était né au Népal d’une princesse hindouiste au VIe siècle avant l’ère chrétienne.
Nemi passe pour le fondateur de la première dynastie du royaume, celle des Gopalas. C’est à partir de son règne que, selon les textes, les dieux cessèrent de se montrer au Népal au regard des humains sous leur forme corporelle. Après avoir régné pendant cinq siècles, les Gopalas furent remplacés par la dynastie des Ahirs qui put se maintenir pendant deux siècles sur fond de conflits entre les divers clans de pasteurs se disputant les zones de pâturage puis les sols cultivables. Vers 700 avant J.-C., les tribus Kiratas apparaissent dans l’Est du pays. Parlant un dialecte tibéto-birman, elles sont à l’origine des Newars et sont habiles à forger des armes de métal, dont le fameux kukhri. La tradition rapportée par les Vamsavali attribue à cette dynastie les noms de vingt-neuf rois qui se succédèrent de 700 avant J.-C. à 350 de notre ère. La région est alors sous l’influence de la civilisation indienne et la grande épopée du Mahabharata évoque les campagnes menées au Népal par le héros légendaire Arjuna. C’est aussi à cette époque que se placent la naissance et la prédication du Bouddha Sakyamuni, né à Lumbini dans le Teraï avant d’aller prêcher la croyance nouvelle dans la plaine indo-gangétique voisine. C’est de là qu’elle revint au Népal à l’époque de l’empereur maurya Ashoka qui a régné de -270 à -230 et dont le gendre a fondé la ville népalaise de Patan.
Quelques siècles plus tard, au début de l’ère chrétienne, l’Inde du Nord fut envahie par les Kushans venus du plateau iranien. Leur dynastie fut notamment illustrée par Kanishka qui étendit son pouvoir des plateaux d’Asie centrale au golfe du Bengale. Durant cette période, le Népal a peut-être pu préserver son autonomie, mais la succession de trois dynasties de courte durée plaide plutôt pour son relatif effacement. Au début du IVe siècle, l’Inde connaît son apogée antique avec le temps de l’empire gupta qui correspond à un retour en force de l’hindouisme. C’est l’époque qui voit se former, sous la dynastie des Licchavis, une véritable identité népalaise, alors que le développement des échanges enrichit la région. Paçupati demeure la divinité la plus populaire, mais le bouddhisme est aussi très présent. C’est ce moment qui voit les architectes népalais mettre au point le modèle de la pagode, qui connaîtra le succès que l’on sait dans toute l’Asie orientale.
Alors que l’Inde voisine voit la ruine de l’empire gupta, emporté au cours du Ve siècle par l’invasion des Huns Hephtalites, le Népal est épargné et le sera également au VIIIe siècle par les envahisseurs musulmans que les Chinois arrêteront à Talas, en Asie centrale, en 751. L’accès difficile et la nature montagneuse du pays ont alors protégé le Népal de l’irruption destructrice des cavaliers du Prophète. La tradition exalte les vertus et les qualités des souverains de l’époque, qui réussissent à imposer leur autorité par la force ou par une politique matrimoniale permettant de maintenir la paix entre les différents clans qui se partagent le pays. Le grand souverain indien Chandragupta Ier, qui règne de 320 à 350, a ainsi épousé la princesse népalaise Kamaradevi, issue de la dynastie Licchavi. Un texte épigraphique affirme ainsi que l'un de ces souverains « était aimé du monde à l’égal du printemps, il apaisait les discordes hostiles, ses vassaux domptés l’adoraient ». Trois siècles durant, cette dynastie fait coexister pacifiquement brahmanisme et bouddhisme, établit la justice et perçoit l’impôt tout en tenant compte de l’avis des chefs de villages.
En 602, le roi Ghimadeva marie sa fille à Ançuvarman, un prince d’une seigneurie de l’Est du pays. À la mort de son beau-père survenue en 630, ce dernier profite du fait que le défunt n’avait pas d’héritier mâle pour s’emparer du pouvoir. En 639, il donne sa fille Bhirikuti Devi en mariage au souverain tibétain Songtsen Gampo. C’est ainsi que le Népal passe progressivement dans la zone d’influence du Tibet. Quand survient la mort d’Ançuvarman, le roi tibétain intervient pour mettre un terme aux rivalités successorales, au profit de Narendra Deva. C’est aussi l’époque où des ambassades chinoises envoyées par l’empire Tang sont accueillies au Népal, en 643 et 647. Les difficultés rencontrées par l’ambassadeur chinois Wang Hiuen T’se en Inde conduisent Népalais et Tibétains à y intervenir pour le tirer d’affaire.
En 651, c’est Narendra Deva qui envoie une ambassade munie de présents au maître de l’empire du Milieu.
Les témoignages de voyageurs chinois qui visitent à cette époque le Népal, notamment celui de Hiuen Tsang, nous présentent un pays prospère qui a su développer l’irrigation et, donc, l’agriculture et qui bénéficie d’une administration efficace. Les voyageurs chinois signalent également le nombre et la beauté des temples, ainsi que l’importance attribuée à l’astrologie. De par sa position, le Népal apparaît alors comme un espace intermédiaire entre la Chine et le Tibet d’une part et l’Inde d’autre part.
Descendants du grand roi Ançuvarman, les Thakuris se divisent entre ceux de Nayakot et ceux de Patan, remettant ainsi en cause l’unité du pays et favorisant l’émergence d’une « féodalité » qui, installée dans les montagnes voisines, devient une menace pour la vallée de Kathmandou. Le pays connaît dès lors une certaine instabilité, mais n’en affermit pas moins son identité culturelle spécifique, marquée par la tolérance unissant les tenants des deux religions dominantes et par la généralisation de la langue commune, le népali, dérivée d’un dialecte de l’Inde du Nord issu de l’hindi, ainsi que d’une écriture empruntée elle aussi à la culture sanskrite.
Confronté à l’arrivée de princes indiens chassés par les musulmans du Dekkan et à celle des musulmans eux-mêmes, le Népal parvient difficilement à maintenir son autonomie au cours des siècles de notre Moyen Âge.
La fin du XIVe siècle et le début du XVe voient l’installation d’une nouvelle dynastie, celle des Mallas dont le premier représentant est Jaya Sthiti, devenu roi en 1383. Son règne est marqué en 1410 par un puissant séisme qui ravage Kathmandou. Trois princes héritiers se partagent ensuite le royaume, mais c’est l’un d’entre eux, Jyotir Malla, qui s’impose. Il meurt entre 1426 et 1428 et c’est son fils, Yaksa Malla, qui lui succède. Il étend son territoire vers le Tibet et vers le Gange, mais aussi vers le Sikkim et, à l’ouest, dans le pays gurkha. À l’intérieur, il soumet les princes rebelles et, quand il meurt en 1480, son règne a constitué une page glorieuse de l’histoire népalaise. À sa mort, ses quatre fils occupent respectivement le pouvoir à Bhatgaon, Banepa, Kathmandou et Patan. Banepa fut rapidement absorbée par le prince de Bhatgaon et, pendant les trois siècles suivants, la dynastie des Malla régna sur trois principautés distinctes, entretenant parfois des relations amicales mais souvent rivales, au point de se livrer à des guerres.
Le royaume de Bhatgaon (Bhaktapur) connut, jusqu’au XVIIIe siècle, une destinée brillante. Celui de Patan fut illustré par les règnes Siddhi Nara Simha Malla (1620-1657) et Yogendra Mahendra Malla (1680-1700). Le plus brillant des trois royaumes fut cependant celui de Kathmandou où Mahandra Malla (1550-1570), Civa Simha Malla (1585-1614) et Laksmi Nara Simha Malla (1614-1639) – conseillé par un remarquable Premier ministre, Bhima Malla – enfin Pratapa Malla (1639-1689) furent des souverains prudents en matière de relations extérieures et soucieux du développement économique du pays. Pratapa Malla – parfois présenté comme le « Louis XIV du Népal » – fut le plus brillant de ces monarques. Pourtant le royaume s’affaiblit ensuite, sous les règnes des derniers souverains de la dynastie, et ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le Népal va se constituer en tant que véritable État.
L'apparition du Népal moderne
L’histoire de la genèse de cet État nous est connue grâce aux travaux de deux Anglais, membres des premières délégations européennes que le pouvoir central naissant accepta de recevoir. Le premier, le colonel Kirkpatrick, fut envoyé par Lord Cornwallis, gouverneur général de l’Inde, pour négocier un traité de commerce. Il séjourna à Kathmandou de février à avril 1793 et rapporta une masse d’informations publiées en 1811 à Londres. Le second, le capitaine Knox, envoyé en 1802 par le gouverneur général Wellesley, était accompagné d’un véritable savant, Francis Hamilton. Il fut alors possible d’en savoir davantage sur l’évolution du pays au cours des siècles précédents. C’est la petite principauté de Gorkha qui a rassemblé autour d’elle les territoires népalais. Ses premiers habitants étaient apparentés aux Newars des vallées centrales, mais ce sont des éléments rajputs venus d’Inde qui réussirent à s’imposer en 1559 avec Drabya Shah, considéré comme l’ancêtre de la dynastie Gorkha. Puranandara Shah puis Rama Shah (1606-1633) lui succédèrent et étendirent leur territoire en même temps qu’ils entreprenaient de contrôler une bonne partie du commerce avec le Tibet voisin. Prince fondateur, Rama Shah organise son pouvoir en créant une administration, une armée régulière et un système de poids et mesures. Ses successeurs Dambar Shah (1633-1642), Krisna Shah (1642-1653) et Rudra Shah (1655-1671) développent leur principauté tout en maintenant des relations pacifiques avec leurs voisins, les souverains Mallas installés à l’est. Le prince Prithivi Narayan accède au pouvoir et forme les premières unités de Gorkhas appelées à devenir une troupe d’élite qui s’illustrera ultérieurement au service des Anglais. Il s’empare de Nuwakot, par où transite le commerce indo-tibétain, puis de Sindupalshok en 1754. Il échoue en revanche devant Kirtipur en 1757, mais prend Mackwanpur en 1762, toujours dans l’intention d’affaiblir et d’isoler les principautés mallas. Après de nouveaux succès, Kirtipur finit par tomber en 1765. Deux ans plus tard, un corps expéditionnaire de la Compagnie des Indes tente de secourir Patan, mais il doit se replier en désordre quand les crues emportent les ponts qu’il a empruntés. En septembre 1768, Prithivi Narayan Shah s’empare de Kathmandou puis, à la fin de l’année suivante, de Bhatgaon, dernier refuge des princes Mallas. Le vainqueur, désormais maître du Népal central, établit sa capitale à Kathmandou. En mars 1773, il prend Morang, à l’emplacement de l’actuelle Biratnagar, et s’impose aussi au peuple des Kiratas.
15 janvier 1775 : Mort de Prithivi Narayan Shah qui peut être considéré comme le véritable fondateur de l’État népalais.
1775-1778 : Règne de Simha Pratap Shah, préoccupé surtout par les questions religieuses. Il signe un traité de paix avec le Sikkim en 1775.
1782-1790 : Sous le règne de Rana Bahadur Shah, de nombreuses principautés montagnardes sont soumises et leurs territoires annexés.
1789 : Malgré le traité conclu en 1775, le Sikkim est annexé.
1791 : Les Gorkhas occupent Srinagar, au Cachemire, qu’ils garderont pendant vingt-cinq ans.
1790 : Les Gorkhas envahissent le Sud du Tibet et obtiennent le paiement d’un tribut. Ils récidivent en 1791 pour non paiement de ce tribut et s’emparent de Shigatsé.
1792 : Suzeraine du Tibet, la Chine intervient et les Népalais sont vaincus. La même année, Anglais et Népalais concluent le traité de Bénarès qui organise le commerce transhimalayen et admet le séjour à Kathmandou de la mission du colonel Kirkpatrick. A la fin du siècle, le Népal s’étend du Bhoutan au Cachemire.
1802-1803 : Ambassade du capitaine Knox à Kathmandou.
Sur le plan politique, la période est marquée par une grande instabilité, une régence et des complots contre le jeune souverain Bahadur Shah. C’est à la faveur de ces événements que Bhim Sen Thapa prend la fonction de Premier ministre qu’il va conserver pendant trente-trois ans, ce qui permet de rétablir l’ordre et la prospérité.
On voit se mettre en place, avec le XIXe siècle, le « Grand Jeu » qui va opposer en Asie les empires britannique et russe, mais à propos duquel il ne faut pas oublier les ambitions d’une puissance impériale chinoise, vite déclassée à partir du milieu du siècle.
1814 : Désireux d’imposer leur autorité sur la plaine méridionale du Teraï, les Anglais envahissent la région avec 30 000 hommes et soixante canons. Les forces gorkhas se limitent à 12 000 hommes, mais n’en infligent pas moins plusieurs défaites aux envahisseurs. Toutefois, en avril 1815, le général népalais Bhakti Thapa est vaincu et tué à l’issue d’un combat héroïque. En mars 1816, un traité de paix est signé à Segowlie, dans le Bihar indien : le Népal perd le Sikkim et tout le Teraï à l’ouest de la rivière Gandaki. Il doit accepter la présence permanente d’un résident britannique à Kathmandou. Le gouverneur Hastings charge le premier titulaire du poste, Edward Gardner, de faire du Népal un allié solide de la présence britannique en Inde.
Peu après la fin de la guerre, le roi Girvana Yuddha Vikram Shah meurt. Son fils Rajendra Vikram Shah est un tout jeune enfant et sa minorité ouvre un conflit entre sa grand-mère Tripura Sundari et le Premier ministre Bhim Sen. Quand la vieille reine meurt en 1832, c’est ce dernier qui récupère la totalité du pouvoir. Pendant plus d’un siècle, la royauté népalaise n’aura plus désormais qu’une dimension symbolique.
Septembre 1833 : Un séisme affecte tout le pays, le plus puissant depuis celui de 1410.
1833 : Brian Houghton Hodgson devient résident britannique au Népal.
Juillet 1839 : Accusé d’empoisonnement, Bhim Sen se suicide et ses descendants sont exclus du pouvoir.
Décembre 1843 : Matabar Singh, neveu de Bhim Sen, rentre d’exil et devient Premier ministre.
Mai 1845 : Assassinat du Premier ministre par Jang Bahadur Rana.
Septembre 1846 : L’assassinat d’un amant de la reine déclenche une véritable bataille au sein du palais royal, au cours de laquelle trois ministres sont tués.
1847 : Le roi est déposé et remplacé par son fils, Surendar Vikrama Shah, qui régnera jusqu’en 1881, mais sans disposer de pouvoir réel. Jang Bahadur Rana ouvre alors une dynastie de Premiers ministres qui va diriger le Népal jusqu’en 1950. Il impose une réforme constitutionnelle qui introduit l’hérédité des postes de Premier ministre et de commandant en chef. La fonction ne passera pas du père au fils aîné, mais du frère aîné à ses cadets en ordre d’âge avant de passer à la génération suivante. Un choix fait pour éviter les crises qu’avaient engendrées précédemment les minorités royales.
Le nouveau maître du pays entend donner des gages à l’Angleterre en fournissant des contingents de Gorkhas lors de la campagne conduite contre les Sikhs du Pendjab. Il effectue un voyage en Europe qui le mène, en 1850, à Londres et à Paris où il est reçu par la reine Victoria et par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte.
Mars 1856 : Un nouveau traité est signé avec le Tibet à l’issue d’une nouvelle invasion népalaise. De nouvelles clauses commerciales sont adoptées.
1857 : Jang Bahadur envoie 3 000 Gorkhas soutenir les Anglais durant la révolte des Cipayes, puis intervient lui-même à la tête de 8 000 hommes.
Novembre 1850 : L’Angleterre restitue au Népal la partie du Teraï qui lui avait été enlevée lors du traité de Segowlie. Mais Nana Sahib, le chef du soulèvement cipaye, a pu trouver refuge au Népal.
De la dynastie des Ranas à nos jours
De 1846 à 1951, le Népal est dirigé par une dynastie de Premiers ministres dont la charge est héréditaire. Revenu de son voyage en Europe, Jang Bahadur s’attache à la modernisation du pays. Il publie un Code civil inspiré de la tradition hindouiste, même si la liberté de culte est reconnue. L’évolution du droit connaît cependant des limites puisque la mort des veuves sur le bûcher ne sera abolie qu’en 1920. La centralisation administrative et l’organisation fiscale complètent la réforme de la justice. Des travaux d’irrigation sont entrepris, garantissant la prospérité agricole, les activités artisanales se diversifient et le commerce se développe. Ces diverses nouveautés positives pour le pays n’écartent pas cependant le spectre des crises politiques qui, après la mort de Jang Bahadur en 1878, affectent désormais la dynastie des Premiers ministres Rana. Complots et règlements de comptes familiaux surviennent encore, mais, sous l’autorité de Jang Bahadur et de Bir Shamsher, le pays bénéficie globalement d’une stabilité satisfaisante.
1901-1929 : Shandra Shamsher, qui a pris les titres de maharadjah, de Premier ministre et de maréchal du Népal, dirige le pays au cours du premier tiers du XXe siècle.
Au début du siècle dernier, les dirigeants népalais doivent compter avec la nouvelle donne géopolitique qui s’établit en Asie. La Chine, très affaiblie, est confrontée à la menace d’un « break up of China » envisagé par les grandes puissances. L’Angleterre entend contrer la tentation russe de pousser vers le subcontinent indien dans l’espoir d’accéder aux « mers chaudes », et à l’est du continent asiatique, la puissance japonaise s’affirme… Le petit Népal ne peut guère peser dans ce contexte nouveau, mais il n’en va pas moins réussir à s’affirmer et à sauvegarder une certaine indépendance. En 1904, le Premier ministre Shandra Shumsher conseille au dalaï-lama tibétain de traiter avec les Anglais quand ceux-ci viennent imposer leurs volontés à Lhassa. En 1907, l’accord anglo-russe sur l’Asie centrale et l’Afghanistan contribue à la consolidation de la présence anglaise en Inde. L’État népalais ne fut pas directement engagé dans la première guerre mondiale, à la différence de l’Empire des Indes britannique, mais les Anglais recrutèrent de nombreux Gorkhas – 16 000 hommes – qui, réputés excellents soldats, combattirent en France et au Moyen Orient.
21 décembre 1923 : Traité anglo-népalais relatif au commerce.
Sur le plan intérieur, c’était un enfant de 4 ans lors de son avènement, Tribhuvan Bir Bikram Shah, monté sur le trône en 1911, qui est souverain en titre ; il le restera jusqu’en 1954. Il renouvellera le pouvoir monarchique, mais, dans les années vingt et trente du XXe siècle, c’est le Premier ministre Shandra Shamsher qui met en œuvre des réformes modernisatrices. Il abolit l’esclavage et 50 000 esclaves sont libérés et leurs propriétaires indemnisés. Ses successeurs, Bhim Shumsher puis Suddha Shumsher, poursuivent les réformes, avec la création d’hôpitaux et d’un enseignement secondaire. Une presse nationale apparaît, mais l’opposition reste muselée.
Au cours de la seconde guerre mondiale, 45 bataillons gorkhas participent à la lutte au sein des forces anglaises sur les fronts méditerranéen et asiatique. Au sortir de l’immense conflit, l’indépendance de l’Inde, la révolution chinoise et la décolonisation en Asie du Sud viennent bouleverser la donne géopolitique en Asie.
Janvier 1947 : Un Congrès national népalais est constitué à Bénarès, hostile au régime autoritaire des Ranas. Le régime en place réprime grèves et manifestations. Des dirigeants du mouvement sont arrêtés dont sa figure principale, Biscweshar Prasad Koirala, un partisan de Gandhi.
Novembre 1945 : Le Premier ministre Juddha Shumsher en place depuis 1932 démissionne et laisse sa place à son neveu Padma Shumsher qui annonce, en mai 1947, un programme de réformes progressistes avant de proposer, en janvier 1948, un projet de constitution prévoyant la mise en place d’un Parlement bicamériste. Il est contraint d’abandonner face aux pressions de son clan familial et est remplacé par Mohan Shumsher qui suspend la constitution appelée à entrer en vigueur en avril 1948.
Août 1948 : Constitution à Calcutta, en Inde, d’un Congrès national démocratique qui était en fait un parti communiste. À Kathmandou, le pouvoir répond par une répression vigoureuse, mais le contexte international du moment contraint le régime à des concessions.
Juin 1950 : Maurice Herzog et Louis Lachenal parviennent à vaincre l’Annapurna, le premier sommet de plus de 8 000 mètres atteint par des alpinistes. Le Népal verra ensuite de nombreuses expéditions s’attaquer aux grands sommets himalayens.
Juillet 1950 : Signature d’un traité d’amitié, de paix et de commerce entre l’Inde et le Népal.
Au moment où va s’ouvrir la seconde moitié du XXe siècle, le Népal s’apprête à connaître une restauration dynastique inattendue. Comme l’explique l’historien Roland Barraux : « Pendant le siècle de sa gestion du royaume, l’aristocratie Rana – qui avait trusté tous les postes de responsabilité – avait assuré la continuité du destin népalais voulue par la dynastie Shah et fondé sur le double objectif d’identité nationale et de souveraineté. Son bilan global pouvait être considéré comme positif dans de nombreux domaines, d’abord la stabilité du pouvoir politique. Pourquoi la monarchie légitime ne reprendrait-elle pas sa place à la tête du pays dès lors qu’elle se sentait en mesure d’assumer ses responsabilités traditionnelles ? C’est sans doute la question que s’est posée le roi Tribhuvan Bir Bikram Shah, le septième successeur de Prithivi Narayan, le fondateur de la dynastie. Né en 1907, intronisé en 1911 à la mort de son père, il avait eu le temps en marge de l’exercice du pouvoir, de se faire un jugement sur les données de la politique intérieure et extérieure, compte tenu de l’évolution dans cette partie du monde entre l’Inde, indépendante depuis 1947, et la Chine, communiste depuis 1949. La naissance en Inde de partis politiques népalais, associés donc à la lutte des personnalités et des groupes indiens pour les changements à la fois du statut international et de l’équilibre social interne, devait désormais être prise en considération pour la gestion de la société népalaise. À cet égard, le temps était probablement venu d’entreprendre un nouveau programme national. »
La situation du pays imposait en effet la mise en œuvre rapide de réformes profondes. En 1950, seulement 2 % de la population savaient lire et écrire, l’espérance de vie était de 35 ans et la mortalité infantile fauchait la moitié des nouveau-nés. L’agriculture employait 90 % des actifs. Les infrastructures de communications modernes étaient à peu près inexistantes.
6 novembre 1950 : Le roi du Népal part pour l’Inde avec son fils et son petit-fils. Le Premier ministre prononce alors la destitution du souverain et proclame à sa place un autre de ses petits-fils âgé de 3 ans. Mais des manifestations éclatent dans tout le pays en faveur du monarque.
24 décembre 1950 : Mohan Shamsher reprend contact avec le roi réfugié à New-Delhi. Le 8 janvier 1951, il promet sa restauration et annonce de futures élections.
15 février 1951 : Retour du roi à Kathmandou. Le 18, un ministère intérimaire est constitué, présidé par Mohan Shumsher et comptant cinq représentants de la famille Rana et cinq membres du parti du Congrès, dont B.P. Koirala comme ministre de l’Intérieur. En attendant la réunion d’une assemblée constituante, l’essentiel des pouvoirs est restitué au roi.
29 mai 1953 : Le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le sherpa Tensing parviennent au sommet de l’Everest.
14 mars 1955 : Malade, le roi Tribhuvan est transporté en Suisse et meurt à Zurich. Son fils, Mahendra Bir Bikram Shah, âgé de 34 ans, lui succède.
14 décembre 1955 : Le Népal est admis à l’ONU.
20 septembre 1956 : Visite en Chine du Premier ministre M.P. Koirala, frère de B.P. Koirala.
Février 1959 : Présentation d’un projet de constitution visant à l’instauration d’une monarchie parlementaire.
18 février 1959 : Large victoire électorale du parti du Congrès népalais. B.P. Koirala devient Premier ministre.
15 décembre 1960 : Le roi Mahendra démet le gouvernement et dissout le Parlement. Plusieurs ministres dont B.P. Koirala lui-même sont arrêtés. Des mesures répressives sont adoptées pour mater l’agitation qui gagne alors tout le pays à l’annonce des futures réformes.
Février 1961 : Visite au Népal de la reine Elizabeth II.
1961-1962 : Le blocage politique se poursuit après la dissolution du Parlement décidée en 1960.
Octobre 1962 : Guerre sino-indienne sur la frontière himalayenne.
16 décembre 1962 : Le roi promulgue la nouvelle constitution.
Mars-avril 1963 : Nouvelles élections. Un tiers des députés sont des sympathisants du parti du Congrès.
Janvier 1972 : Le roi Mahendra reconnaît le Bengladesh nouvellement indépendant et meurt quinze jours plus tard au cours d’une partie de chasse dans le Teraï. La couronne revient à son fils Birendra Bir Bikram Shah, né en 1945. Il a étudié à Eton, à Tokyo et à Harvard.
1974 : Le Sikkim devient le vingt-cinquième État de la Fédération indienne et l’Inde fait exploser cette même année sa première bombe atomique.
Par le plan « Retour au village », le roi et son ministre Tulsi Giri s’attachent au développement rural et engagent par ailleurs la lutte contre la corruption des fonctionnaires.
2 mai 1980 : Consultés par référendum, 54,7 % des électeurs népalais approuvent la constitution et les réformes.
1986 : À la suite des élections générales (60 % de participation) Marich Man Singh Shresta devient Premier ministre.
La même année, l’Association asiatique de coopération régionale regroupant sept États (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, Maldives, Bhoutan et Népal) installe son secrétariat permanent à Kathmandou.
1988 : La Chine et le Népal signent un accord de vente d’armes par la Chine.
Mars 1989 : Tensions commerciales avec l’Inde qui s’inquiète de la proximité entre le Népal et la Chine.
Juin 1990 : Normalisation de relations commerciales avec l’Inde. La livraison d’armes chinoises est suspendue.
Novembre 1990 : Promulgation d’une nouvelle constitution.
Mai 1991 : Lors des élections, le parti du Congrès enlève 110 sièges sur 205. Et les communistes 69.
Durant ces années, le Népal a accompli de remarquables progrès sur le plan de la croissance et de la modernisation de l’économie et des infrastructures, et il en va de même pour le développement de l’éducation.
Malgré ce bilan globalement positif, le Népal a dû compter avec la persistance d’une guérilla maoïste analogue à celle qui a sévi dans l’Inde du Nord-Est. Il a dû également surmonter le traumatisme né du massacre perpétré le 1er juin 2001 au palais de Kathmandou où dix membres de la famille royale, dont le souverain lui-même, ont été tués par le prince héritier Dipendra Bir Bikra Shah Dev, mort lui-même au cours de cet événement tragique dont les origines restent obscures, entre l’addiction du prince aux stupéfiants et sa colère de voir ses projets matrimoniaux rejetés par sa famille.
Dès le 4 juin, le prince Gyanendra Bir Bikram Sah est proclamé roi et Sher Bahadur Deuba, issu du parti du Congrès, devient Premier ministre après la démission de G.P. Koirala.
2006 : Retour pour la cinquième fois au poste de Premier ministre de G.P. Koirala, âgé de 84 ans.
2008 : L’abolition de la monarchie, réclamée depuis longtemps par la guérilla communiste, ouvre la perspective d’une pacification intérieure.
2009 : Le pays a vu s’établir un modus vivendi à peu près satisfaisant avec l’opposition maoïste qui a accepté divers compromis, mais la situation économique est marquée par une augmentation du déficit commercial et les incertitudes économiques font que de nombreux Népalais songent à émigrer.
Août 2011 : Baburam Bhattaraï devient Premier ministre. Il est issu du parti communiste maoïste qui participe aux gouvernements depuis la fin de la monarchie à l’été 2008.
Novembre 2013 : Élection d’une nouvelle assemblée constituante et formation d’un nouveau gouvernement dirigé par Sushil Koirala. La situation politique apparaît apaisée, mais l’économie reste fragile et dépend beaucoup des mandats envoyés au pays par les travailleurs émigrés (un tiers du PIB national). Le pays ne compte que pour 0,1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais il est l’un des plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique, car la fonte des glaciers himalayens contribue aux crues dévastatrices en période mousson et à la sécheresse durant les autres saisons.
2015 : Le pays est frappé par deux terribles séismes en avril et en mai. La catastrophe a fait 9 000 morts et a détruit l’équivalent du tiers du PIB. Pour aggraver la situation, des difficultés sont apparues avec l’Inde qui reproche à la nouvelle constitution adoptée en septembre de ne pas tenir compte des minorités du Sud du pays, proches du grand voisin indien.
2017 : Les premières élections depuis l’adoption de la constitution de 2015 ont donné une majorité à l’alliance des deux partis communistes népalais, ce qui tourne pour de bon la page de la guerre civile qui a affecté le pays durant de nombreuses années. Après les tremblements de terre de 2015, ce sont les inondations qui ont affecté le pays.
Février 2018 : Khadga Prasad Sharma Oli devient Premier ministre. En juin, un accord sino-népalais prévoit la construction d’une voie ferrée reliant les deux pays, mais l’Inde reste le premier partenaire commercial du Népal.
Novembre 2019 : Visite officielle de Xi Jin Ping à Kathmandou.
2020 : Le Népal a vu s’effondrer l’activité touristique en raison de l’épidémie de Covid, avec une chute spectaculaire de la croissance (de 7 % à 0 % en un an).
2021 : Le conflit opposant le gouvernement à la Cour suprême à propos de la dissolution de l’Assemblée souhaitée par Khagma Prasad Sharma Oli a ramené l’incertitude politique. Après la démission de K.P. Oli, Sher Bahadur Deuba, chef du parti du Congrès, est devenu Premier ministre pour la cinquième fois.
2022 : Pushpa Kamal Dahal devient Premier ministre en décembre après les élections législatives de novembre qui ont vu le parti du Congrès népalais perdre la majorité. Ce Premier ministre, qui occupe le poste pour la troisième fois, a été un acteur important de la guerre civile qui, de 1996 à 2006, a fait près de 17 000 morts dans le pays. L’apparition d’un Parti national indépendant (Rastriya Swatantra Party) traduit toutefois la lassitude des Népalais vis-à-vis d’une classe politique vieillissante et soupçonnée de corruption.
Outre les difficultés politiques intérieures, le Népal demeure un petit État himalayen pauvre qui ne dispose guère de moyens pour s’affirmer entre les deux superpuissances indienne et chinoise. Il lui reste de nombreuses étapes à franchir sur le chemin du développement pour satisfaire une population en croissance rapide (plus de 30 millions d’habitants aujourd’hui). Ce sont l’aide internationale et la coopération régionale qui lui permettront d’établir les équilibres nécessaires.