Le terme « cananéen » apparaît dès le XVIIIe siècle avant notre ère dans les textes cunéiformes de Mari sur le Moyen-Euphrate, tandis que « le pays de Canaan » est mentionné au XVe siècle dans l'inscription d'Idrimi, roi d'Alalakh en Syrie du Nord, comme le pays dans lequel il s'est réfugié, à Ammia, probablement au sud de Tripoli. Un « Cananéen » est aussi mentionné au XIIIe siècle avant notre ère dans une tablette alphabétique d'Ougarit, indiquant que cette ville était trop au nord pour faire partie du pays de Canaan. De fait, à l'époque du bronze récent (vers 1525-1180), « Canaan » désignait une des trois régions ou provinces du protectorat égyptien sur le Levant et s'étendait de Gaza, au sud, à Beyrouth ou Byblos, au nord – la Syrie intérieure, autour de la Béqa et de Damas, formant la province d'Apu/Upu. André Lemaire évoque pour nous l'essor et le devenir de cette civilisation qui connut plusieurs époques glorieuses.
Au Ier millénaire avant notre ère, Canaan est mentionné de nombreuses fois dans la Bible comme le pays promis à Abraham et à sa descendance (Genèse 17, 8 ; cf. Psaume 105, 11) et les Cananéens y désignent la principale population pré-israélite de la Terre promise. Le terme apparaît aussi comme synonyme de « Sidonien », c'est-à-dire de « Phénicien », tandis que, à l'époque tardive, la réputation des commerçants cananéens fait utiliser ce terme, par antonomase, pour désigner des « marchands ». Cependant, il pouvait aussi garder un sens « ethnique », comme le montre la légende phénicienne : « Laodicée mère/capitale en Canaan » sur des monnaies séleucides de Beyrouth (IIe siècle av. J.-C.) ; de même, au premier siècle de notre ère, dans l'Évangile de Matthieu (15, 22), une femme « cananéenne » correspond à une femme « syro-phénicienne » dans l'Évangile de Marc (7, 26). Au Ve siècle, saint Augustin rapporte que les habitants des villages puniques autour de Carthage se présentaient encore comme des Cananéens.
Même si elles sont souvent polémiques dans la Bible, ces diverses mentions témoignent de l'importance de la culture cananéenne qui a précédé les cultures israélite, hellénistique, romaine, et finalement judéo-chrétienne, puis a coexisté avec elles. Trait d'union entre l'Égypte et la Mésopotamie, la civilisation du Levant-Sud, métissant les influences des cultures du Nil, de la Syrie et des bords de l'Euphrate, a parfois paru une pâle copie des grandes civilisations voisines car elle est toujours restée plus ou moins morcelée politiquement, mais elle n'en a pas moins développé une civilisation qui connut plusieurs périodes glorieuses.
Dès le IIIe millénaire avant notre ère, cette région se couvre de villes fortifiées depuis le sud, comme le site d'Arad du bronze ancien II (vers 3100-2650), dans le Négev, jusqu'à Byblos, au nord. Ces deux villes témoignent de l'importance des relations avec l'Égypte : la première avec la découverte du sérekh du pharaon Narmer (vers 3000), la seconde avec les inscriptions des pharaons Khéops, Khéphren, Mykérinos, Wenis, Sahuré, Pépi I et II. Tandis qu'Arad semble être un centre de commerce pour les céréales et le cuivre, Byblos est le port d'approvisionnement en bois de cèdre, très apprécié des Égyptiens qui en manquaient cruellement.
La centralisation de la population rurale et le développement de l'urbanisme se poursuivent au bronze III (vers 2500-2300) avec la construction de cités puissamment fortifiées, spécialement dans la Shephélah judéenne comme à Tell Yarmout, ainsi qu'à Aï, au sud de la montagne d'Ephraïm. Les ruines de Tell Yarmout, au sud de Bet-Shemesh, sont aujourd'hui encore spectaculaires, avec les restes d'une muraille conservée jusqu'à sept mètres de hauteur, ainsi qu'un immense complexe palatial qui évoque celui de Byblos. Il s'agit là visiblement d'une capitale régionale abandonnée pacifiquement à la fin du bronze III sans qu'on puisse en préciser la raison. L'architecture religieuse de cette époque se caractérise, à Megiddo et à Khirbet Zeraqun, par de grands autels circulaires. Tyr, elle-même, semble avoir été fondée alors, vers 2750.
À la période intermédiaire qui suit l'abandon progressif des cités fortifiées, une partie de la population semble reprendre une vie pastorale semi-nomadique. Cette civilisation est surtout connue par ses cimetières comportant des centaines, voire des milliers de tombes, souvent utilisées pour des inhumations secondaires.
La période du bronze moyen voit d'abord la renaissance de certaines villes côtières tandis que d'autres sites de l'intérieur, tels Sichem et Tel Dan, restent de gros villages. C'est surtout à partir du XVIIIe siècle que Canaan se couvre de nouvelles villes puissamment fortifiées : Jérusalem, Hébron, Gézer... et que la civilisation cananéenne atteint son zénith. Au nord, Byblos et Beyrouth naissent ou renaissent, et commercent avec l'Égypte et la Crète. Byblos est particulièrement célèbre pour sa nécropole royale et son temple aux obélisques. La Palestine connaît un fort accroissement démographique avec le développement de grands centres urbains comme Hazor, Sichem, Megiddo. Hazor occupe même une superficie de quatre-vingts hectares et, au XVIIIIe siècle, entretient des relations diplomatiques et commerciales avec Mari sur le Moyen-Euphrate. Le souvenir de son importance politique est souligné par Josué 11, 10 : « Hazor était autrefois la capitale de tous ces royaumes ». Cependant, elle n'est pas la seule ville fortifiée par un rempart et un glacis. Un peu plus au nord, Tel Dan nous a même conservé une porte fortifiée en briques crues de cette époque, tandis que dans la plaine côtière, au nord-est d'Akkô, le site de Kabri s'orne d'un palais décoré de fresques de style égéen. Plus au sud, Megiddo, Sichem, Silo, Lakish, Jaffa, Ascalon, Hébron et Tell el-'Ajjoul (/Sharuhen ?) sont puissamment fortifiées – certaines ayant fourni des fragments de tablettes cunéiformes akkadiennes.
L'expansion démographique et militaire de la civilisation cananéenne aboutit même au contrôle des Hyksos sur le Delta égyptien et à l'établissement de leur capitale à Avaris/Tell ed-Dab'a. Cette symbiose égypto-ouest-sémitique est probablement le milieu dans lequel naît l'écriture alphabétique, avec les premiers fragments d'inscriptions découverts en Égypte, dans le Sinaï et dans le sud de la Palestine (Gézer, Lakish...).
Cette expansion est stoppée par la reconquête du pharaon Amosis qui s'empare d'Avaris (vers 1525), puis de Sharuhen. L'Égypte établit bientôt son protectorat sur tout le Levant à la suite des campagnes victorieuses de Toutmès I et III (1479-1423). Pendant plus de trois siècles, la civilisation cananéenne est marquée par une domination égyptienne, directe ou indirecte, suivant qu'il s'agit de villes de garnison égyptiennes, comme Gaza et Bet-Shéan (avec ses temples et ses stèles), ou de cités-États ayant gardé une certaine autonomie locale, avec un roi à leur tête. La situation politique de cette époque, la soumission officielle au pharaon et les rivalités entre les roitelets locaux nous sont bien connues par les tablettes cunéiformes d'El-Amarna dont la documentation s'étale sur une bonne partie du XIVe siècle ; elle comporte quelques lettres du pharaon en vue d'acquérir personnel et marchandises et, surtout, de nombreuses lettres des roitelets ou gouverneurs locaux. On a ainsi des témoignages contemporains concernant les villes d'Akka/Akko, Akshaph, Ammiya, Ascalon, Ayyalôn... tandis que Tyr, Sidon et Beyrouth sont mentionnées, au XIIIe siècle, dans des documents alphabétiques ou akkadiens trouvés à Ougarit.
Du fait de la pax aegyptiaca, les villes se contentent des fortifications du bronze moyen tandis que des temples, parfois bâtis sur le modèle égyptien ou en l'honneur d'une divinité égyptienne, sont construits à Hazor, Megiddo, Bet-Shéan et Lakish. À cette époque, profitant du développement du commerce international, les élites locales accumulent pouvoir et richesse, avec nombre d'objets en or et en ivoire, tandis que la population rurale diminue et tente parfois d'échapper au contrôle des polices, locale et égyptienne – ainsi se développe le mouvement des Habiru dans les montagnes et collines de l'intérieur. Les révoltes locales entraînent régulièrement des répressions égyptiennes, telle l'expédition militaire de Merneptah, vers 1210, à la suite de laquelle le pharaon se vante de s'être emparé d'Ascalon, Gézer et Yenoam et d'avoir défait le peuple d'Israël. L'akkadien cunéiforme reste l'écriture diplomatique habituelle, même dans les relations avec le pharaon ; cependant, l'administration égyptienne utilise aussi sa propre écriture, comme en témoignent quelques ostraca hiératiques. Dans ce contexte, l'écriture linéaire alphabétique a du mal à percer, même si quelques inscriptions fragmentaires prouvent son utilisation occasionnelle, comme à Lakish.
Cette civilisation très inégalitaire s'écroule assez brusquement à cause de cette invasion vers 1185-1180, au début du règne de Ramsès III qui l'arrête sur terre et sur mer aux portes de l'Égypte. Sous la suzeraineté nominale de l'Égypte, différents « peuples de la mer » s'établissent sur la côte méditerranéenne : les Philistins (entre Gaza et Jaffa), les Tjekker/Sikuli (dans la région de Dor), les Shardanes (dans la région d'Akkô). Plus au nord, le sort des villes phéniciennes reste mal connu. Finalement le contrôle de l'Égypte cesse totalement sous le règne de Ramsès VI, vers 1140 av. J.-C.
Au début du fer I (vers 1200-1000), sur les ruines de la civilisation cananéenne de Palestine, vont s'organiser peu à peu deux entités politiques et culturelles différentes : les Philistins, sur la côte, et les Israélites, à l'intérieur. Après de nombreux affrontements sanglants dans la deuxième moitié du XIe siècle, les Philistins se replient sur leur pentapole (Gaza, Ascalon, Ashdod, Éqrôn et Gat) et les Israélites de David contrôlent le reste de la Palestine, aussi bien les villes « cananéennes » de Megiddo, Taanak et Bet-Shéan que les régions de Dor et d'Akkô. Cependant la civilisation cananéenne se perpétue et se développe dans les cités royales phéniciennes de Tyr, Sidon, Byblos et Arwad.
Cette nouvelle organisation politique entraîne le développement des différents dialectes « cananéens » avec une évolution particulière de l'écriture alphabétique : phénicienne, hébraïque, philistienne et même ammonite, moabite et édomite en Transjordanie. Ces diverses régions intègrent plus ou moins l'héritage de la culture cananéenne. Si la culture et la religion israélites se montrent très réservées vis-à-vis de cet héritage, les Philistins s'y révèlent plus ouverts, comme le montrent leur onomastique, en majorité ouest-sémitique, et les traditions bibliques sur les divinités de leurs sanctuaires. Cependant, même en ces deux domaines, des inscriptions récemment découvertes révèlent qu'ils gardent aussi leurs traditions propres, originaires de l'Égée.
En fait, ce sont les cités phéniciennes qui sont les véritables héritières de la civilisation cananéenne. N'ayant pas ou guère souffert de l'invasion des peuples de la mer, elles mettent l'accent sur le commerce maritime vers l'Égypte tout en affirmant leur indépendance, comme le révèle le récit égyptien de Wenamon, vers 1075. Le sarcophage d'Ahirom, vers l'an 1000, puis les inscriptions royales de Byblos du Xe siècle manifestent le développement de l'écriture alphabétique phénicienne qui sera ensuite, vers la fin du IXe siècle, adoptée et adaptée par les Grecs. Plus au sud, le roi de Tyr, Hirom/Hiram, établit un commerce fructueux avec le nouveau royaume de Jérusalem qui, finalement, lui rétrocède le « pays de Kabul », c'est-à-dire la riche plaine d'Akkô. Avec cet arrière-pays assurant sa nourriture et sa stabilité, le royaume de Tyr peut se lancer dans de grandes expéditions commerciales vers Chypre, la Crète, les îles occidentales de la Méditerranée et même Cadix, au-delà du détroit de Gilbratar.
Il se manifeste au IXe siècle par le mariage de Jézabel, fille du roi de Tyr Ittobaal, avec Achab, roi d'Israël (874-853), puis par la fondation de Carthage, en 814. Cette civilisation commerciale reste célèbre par la qualité de ses constructions et par son art s'inspirant souvent de motifs égyptiens, que l'on retrouve aussi sur les sceaux et les ivoires de Samarie au VIIIe siècle. Un moment contrariée par la domination néo-assyrienne puis néo-babylonienne, la civilisation cananéo-phénicienne connaît un nouvel essor à l'époque perse (539-332), aussi bien à Carthage que sur la côte palestinienne, jusqu'à Jaffa et Ascalon, où le développement économique se manifeste à la fin du Ve et dans le courant du IVe siècle par la diffusion des monnaies phéniciennes.
Plus rapidement à l'est, sur la côte phénicienne, qu'à l'ouest, dans le domaine punique, où elle menace un moment Rome, cette civilisation originale s'éteint peu à peu, absorbée par la culture hellénistique et araméenne en Phénicie, et par la culture romaine en Afrique du Nord, même si une partie en subsiste à travers les coutumes et les ruines de ces régions.